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Writer's picturePacific Ventury

Le cas du 737 MAX 8 : qu’est-il arrivé à la boussole éthique de Boeing?



Les 29 octobre 2018 et 10 mars 2019, deux avions, de type identiques, l’un décollant de Jakarta (Indonésie) appartenant à la compagnie Lion Air, l’autre de Addis Abeba (Ethiopie) appartenant à la compagnie Ethiopian Airlines, se sont crashés peu de temps après le décollage.


Le seul élément en commun entre ces deux accidents étaient qu’ils étaient des avions relativement récents de type Boeing 737 Max 8. Deux crashs d’un modèle identique à peu de temps d’intervalle, voilà qui avait de quoi éveiller les soupçons sur la nature de ces crash. Et à une époque où il est vite fait de chercher des causes humaines exogènes à ce genre de catastrophe, c’est la “bonne vieille” erreur technique qui s’est révélée être à l’origine du problème.


Mais cette erreur technique n’était au final que l’extrémité visible d’une pelote plus grosse, qui lorsque l’on commença à tirer dessus, se révéla être bien plus longue et pleine de noeuds qu’initialement envisagé!


Cet article n’a pas pour vocation de regarder les éléments techniques liés à ce crash. Certains éléments des enquêtes sont toujours en cours et quoiqu’il en soit, ce blog n’a pas la prétention de traiter d’ingénierie aéronautique.


Mais le cas du 737 MAX 8 (pour ne pas dire le “scandale” du 737 MAX 8) nous donne bien des leçons sur les processus décisionnels, la nécessité d’une éthique forte et consistante au sein d’une entreprise et des enjeux liés à la moindre dérive dans l’éthique et les valeurs de l’entreprise, mais aussi à quel point le contexte dans lequel l’entreprise évolue peut être générateur de dérives éthiques catastrophiques.


Ce cas d’école vient donc tirer les leçons qui s’imposent en matière humaine, pour éviter des tragédies de l’ampleur de celles de ces deux crash qui ont coûté la vie à 346 personnes (189 et 157).


Nous verrons consécutivement les éléments relatifs :

  1. A l’historique du cas et ce qui a, de petite décision en petite décision, mené à des défauts importants,

  2. La gestion de la crise et l’absence d’une communication efficace,

  3. Le contexte global et comment les garde-fous institutionnels sont tombés dans la facilité et ont accompagné la descente en chute libre de l’éthique de Boeing.


  1. Bref historique : d’un succès commercial à un “produit sur étagère”

Le Boeing 737 est un avion qui a été créé en 1967 par la compagnie Boeing. Plus de 50 ans donc que ce succès commercial sillonne les cieux de notre planète et son succès n’a jamais été démenti. Ainsi en 2018 plus de 7300 modèles de cet avion prenaient les airs quotidiennement.


Des compagnies aériennes telles que SouthWest Airlines se reposent entièrement sur ce modèle unique et leur business plan et leur réussite spectaculaire sont en grande partie dus à l’efficacité de ce modèle, sa facilité de maintenance et son coût économique.


Mais comme beaucoup d’autres secteurs économiques, les dernières décennies ont été, pour Boeing comme pour les autres constructeurs aériens et notamment son rival historique Airbus, une période difficile où la concurrence s’est renforcée, les exigences des clients endurcies et le contexte global complexifié. C’est ainsi qu’au coeur de la crise économique de 2008-2009, les commandes d’avion sont tombées en flèche et en parallèle les cours du pétrole et leur volatilité ont imposé de fortes contraintes pour les constructeurs.


Dans ce cadre, la concurrence s’est faite de plus en plus rude et la guerre des prix et des nouveaux modèles s’est faite de plus en plus intense. Comme pour dans le transport automobile, il est devenu de plus en plus difficile d’arriver avec des modèles complètement nouveaux (le cas de l’Airbus A380 en est un exemple évident). A la place, les constructeurs ont tenté de continuer à faire fructifier leurs modèles stars (le 737 chez Boeing et le A320 chez Airbus) en leur apportant des modifications pour les moderniser et les maintenir au fait non seulement des avancées technologiques sur les composants de l’appareil mais aussi des attentes de leur clientèle.




C’est dans ce contexte qu’a été envisagée la série des 737 MAX 8. L’argument majeur de Boeing quant à ce modèle était que par rapport au modèle originel tellement prisé des compagnies aériennes et des pilotes, rien ne changeait et que les modernisations apportées ne représentaient que des aménagements sans grandes conséquences. En gros, le MAX 8 était un produit vendu sur étagère, comparable à celui connu depuis la fin des années 1960.

Quel meilleur argument de vente que de donner à vos clients le confort de l’habitude et l’assurance que ce nouvel achat ne nécessitera pas de nouvelles formations coûteuses, des adaptations dans leur processus de fonctionnement…


L’argument était vendeur… Mais totalement erroné.


Assez rapidement en effet, dès les premiers modèles livrés courant 2017 et dans les mois qui ont suivi, les pilotes de ces avions ont fait remonter à leurs employeurs et au constructeur des informations confirmant que le modèle était bien différent.


Techniquement, et sans rentrer dans les détails, une des modifications majeures du 737 Max était sa motorisation : les réacteurs de l’avion étaient de taille plus importante et positionné bien plus à l’avant des ailes ce qui avait pour conséquence de modifier les éléments de portance de l’avion. Dès lors, le pilotage s’en trouvait modifié et aurait nécessité, selon certains syndicats de pilotes, des apprentissages complémentaires… et donc des coûts supplémentaires!


En effet, un avion présentant des nouvelles caractéristiques aurait nécessité une re-certification par les autorités de l’aviation civile. Ce qui n’a pas été fait pour les raisons qui seront évoquées ci-dessous.


Or donc, l’avion était supposé identique au précédent : il pouvait donc être développé et vendu dans la foulée, sans attendre les longues procédures administratives de certification. Et les clients en avaient pour leur argent.


Pour compenser les impacts sur la structure de l’avion, Boeing a fait développer un logiciel censé compenser ces modifications, logiciel qui devait dès lors recréer l’expérience et les sensations de vol du modèle original.


Ce système était prévu pour fonctionner en “background” sans même que les pilotes ne puissent le sentir. Il se basait sur les données de capteurs de l’avion, situés à l’extérieur du fuselage, mais sans aucun système de redondance pour venir s’assurer que les données transmises au logiciel étaient conformes à la réalité.


En complément de quoi, un système d’alerte d’incohérence des données, n’avait été prévu que en option dans les conditions d’achat de l’appareil et une étude récente a démontré que cette option était proposée de façon plus claire, voire même conseillée aux compagnies aériennes basées aux Etats-Unis plus que aux compagnies aériennes basées à l’étranger.

Un système reposant complètement sur des algorithmes, sans redondance ni contrôle humain, dont la mise en service se faisait de façon discriminatoire… déjà les premiers éléments d’études nous montre que dans les processus décisionnels de Boeing, certaines questions auraient du être posées en interne ou en externe.

Ainsi, de l’avis de certains experts, le fait de choisir une solution “software” (logicielle) pour régler un problème “hardware” (structurel) n’était pas la solution la plus adéquate ni la plus sécurisante.


Mais dans un contexte économique difficile et contraignant où les recettes et marges de manoeuvre des clients sont limitées et face à une concurrence rude, les choix faits semblent avoir privilégié l’économique, le financier, sur la sécurité et les “bonnes pratiques” en matière d’ingénierie. Ceci allant notamment à l’encontre du principe traditionnel du “KISS” - Keep It Short Stupid - voulant que la recherche de solutions se fasse en privilégiant toujours la simplicité à la complexité. En l’espèce, la mise en place d’un logiciel “fantôme” pour compenser des problèmes d’ordre purement physiques ne semblait pas être la solution la plus simple, mais elle était certainement la plus économique!


Pourtant, historiquement, Boeing était connue pour être une compagnie innovante, à la recherche de solutions techniques.

Malheureusement, peu d’infos ont été communiqué sur les éléments décisionnels et managériales qui ont mené à ces décisions finales.


Mais cela dit, la situation en elle-même rappelle très fortement le cas de la Ford Pinto et il paraît intéressant de revenir sur ce cas et voir quels ont été les parallèles et difficultés rencontrées par Ford, pour essayer de comprendre le challenge auquel fait face la compagnie Boeing.




La Ford Pinto est un véhicule créé par la marque automobile dans les années 1970. Cette voiture, au design innovant et sportif, avait un problème important de conception: tel que le réservoir à essence était placé, à l’arrière du véhicule, tout choc reçu par l’arrière générait l’explosion du véhicule.

Il s’est avéré que les ingénieurs de Ford savaient assez tôt, dans le processus de création du véhicule, qu’il y avait un problème de conception grave. Sur les 40 crash tests réalisés, aucun n’avait réussi.


Mais Ford se retrouvait alors face à une équation économique simple : quel serait le coût d’une opération de rappel et une remise à niveau (avec nouvelle certification) de ce modèle vendu à plusieurs millions d’exemplaires?


Le coût avéré par véhicule était de 11$ soit un coût total d’environ 130 millions de dollars au final.

Face à ces éléments de coût, Ford a calculé le coût financier que représenteraient les dédommagements versés aux familles de victimes en cas d’accidents (reprenant globalement des calculs faits par les compagnies d’assurance). Le total était d’environ 50 millions de dollars.


La décision final, purement économique et financière, a été curieusement facile à prendre pour Ford.


On peut se poser la question du pourquoi une telle froideur dans la décision pour Ford? Tout simplement parce que, pris dans le quotidien de l’entreprise, les personnes en charge des décisions de rappel n’ont pas ressenti la nécessité de pousser l’entreprise a rappeler les modèles défectueux, arrêter la production et corriger le design.


Perdus dans les rappels réguliers, entre la Ford Pinto et les autres modèles, les ingénieurs de la cellule de rappel (“call back”) des véhicules n’a pas pris la dimension éthique du problème : il s’agissait juste d’un autre problème, d’un autre véhicule, d’un autre modèle, dans une marée de statistiques et de cas quotidiens.


Face à la complexité, la quantité et l’habitude, les ingénieurs de Ford en ont oublié l’importance des décisions prises sur le plan humain : la Ford Pinto tuait des gens. Ce véhicule sortait de l’usine de Ford avec une probabilité structurelle de mort pour son conducteur.


Mais dans le contexte économique de l’époque où la concurrence était forte et Ford devait produire et innover, la compagnie se focalisait plus sur les éléments économiques, sur la concurrence, que sur les valeurs de la compagnie et la nécessité de créer des véhicules suffisamment sûrs pour leurs clients.

Cette situation présente bien des similarités avec Boeing: contexte économique difficile, complexité de la décision face à des pressions dues au contexte, difficultés techniques à approcher le problème d’une façon nouvelle pour bien en comprendre les enjeux…

Fort de ce cas d’école, bien connu des grandes écoles de management, on pourrait imaginer que Boeing, à tout le moins, a réussi à répondre rapidement à la crise et prendre conscience efficacement de l’ampleur du problème et à répondre en toute transparence.

Quelles leçons en tirer en matière de fonctionnement des entreprises et organisations humaines?


Bien sûr là encore il convient d’être prudent sur l’évolution de cette situation. Et il ne s’agit pas ici de montrer du doigt Boeing mais bien de tirer les leçons de ce ce qui semble être clairement un dysfonctionnement dans la chaîne de décision.


Donc quels sont les éléments tirés de cette expérience pouvant bénéficier aux autres organisations?

Il convient tout d’abord pour chaque organisation de définir clairement ses valeurs. On le voit ici, quand bien même Boeing a pendant longtemps porté de façon concrète de hautes valeurs d’entreprises, cela n’a semble-t-il pas été suffisant pour lui permettre de maintenir le cap dans un contexte difficile.


Comment procéder dès lors? Il peut être intéressant pour toute organisation de mettre en place un comité d’éthique en interne composant différents membres issus des différentes strates et métiers de l’entreprise. A tout le moins de s’assurer que le processus de prise de décision ne se fasse pas de façon unilatérale au risque de voir certaines considérations éthiques ou techniques fondamentales passer à la trape par défaut de visibilité ou de compréhension des nécessités des différents métiers.


En effet, si le processus décisionnel se centralise, du fait d’évolutions dans l’organisation interne, sur une seule philosophie ou approche sectorielle, certains éléments nécessaires pour s’assurer des prises de décisions conformes aux valeurs et pratiques de l’entreprise doivent maintenir une forte transversalité.


Comme dans le cas de la Ford Pinto, il semble que Boeing ait focalisé ses décisions de développement du 737 Max sur la nécessité commerciale plus que sur les impératifs techniques. On peut en déduire que ce sont principalement les directions commerciales ou la direction centrale, sans avis des ingénieurs, qui ont pris la décision de commercialiser l’avion comme similaire aux versions similaires pour faciliter la vente.

Une fois ces décisions prises, il aura fallu alors pour Boeing adapter l’ensemble de cette stratégie à cet impératif lié à une appréhension du contexte économique d’un point de vue commercial.


Au travers d’un groupe multidisciplinaire chargé d’analyser les décisions importantes relatives à l’avenir de l’entreprise, cette dernière aura une vision bien plus large de son contexte et, notamment, sans se fonder uniquement sur les éléments financiers. Ceux-ci, certes importants, peuvent parfois pousser à des décisions court-termistes qui au final coûteront à l’entreprise.


Maintenir le cap sur ses valeurs, et les appliquer au travers de la pluridisciplinarité, c’est s’assurer de décisions inclusives, envisagées sur le long-terme mais aussi, plus simplement mais nécessairement, s’assurer qu’un processus de discussion important s’est engagé avant de décider.


En effet, plus on met de métiers différents pour décider sur une situation, plus on aura de points de vue, plus on aura de débats.

Certains considèreront que ce processus sera excessivement chronophage et ne produira pas les effets escomptés faute de capacité à trouver un consensus. Il est vrai que les décisions prises de façon collaboratives sont toujours plus longues à prendre que des décisions unilatérales et autoritaires (il suffit de comparer le processus décisionnel appliqué lors de l’accord de Paris de 2015 sur le climat pour en mesurer l’ampleur). Mais le drame du 737 Max et les pertes économiques majeures qui s’en sont suivies pour Boeing nous laisse à penser que ce temps pris à valoriser la discussion et la diversité des points de vue mènera à une décision bien plus profitable économiquement.


Bien sûr, aucune décision ne sera parfaite à 100%. C’est dans la gestion de la crise que s’appréciera la capacité de l’entreprise à se remettre en question et à s’adapter au nouveau contexte, non choisi et survenu de façon instantanée.


2. Face au drame humain : l’incohérence et l’absence d’empathie révélatrice d’un manque d’éthique réel


Malheureusement, la réaction de Boeing a été pour le moins très loin des standards éthiques et moraux attendus d’une compagnie avec une telle réputation.

Des informations récentes ont démontré que de nombreux pilotes avaient remonté leurs inquiétudes et problématiques rencontrées lors des vols du 737 Max mais sans recevoir une écoute attentive de Boeing qui a rejeté leurs critiques.


Pour ce qui est de la réponse technique. Alors qu’il est désormais établi que Boeing a clairement modifié son Boeing 737 Max de façon structurelle, et qu’il est démontré que la compagnie était informée de l’impact de ces modifications sur les spécifications de vol de l’avion, la réponse immédiate de la compagnie, à l’issue du second crash, a été de tâcher de limiter la panique en se focalisant sur l’arrivée prochaine d’une mise à jour du logiciel.


Cette réponse, clairement insuffisante, pose plusieurs problèmes:

  • Ce n’est qu’après le second crash, et l’évidence du lien entre le crash et le type d’avion que Boeing a commencé à clairement réagir. Ce qui veut dire que le premier crash n’a pas été suffisant pour que la compagnie prenne clairement en charge un problème déjà connu. Est-ce à dire que, comme pour Ford en son temps, Boeing a fait un calcul de risques simples sans tenir compte de l’élément humain et moral de l’équation?

  • Malgré la tragédie humaine de deux crashs dus à une problématique structurelle non prise en charge bien que connue là l’avance, Boeing n’a pas clairement reconnu sa responsabilité dans la crise, tâchant de reporter la faute sur les pilotes “dans certains cas, les procédures n’étaient pas correctement suivies”. Compte tenu des informations en sa possession, la compagnie n’aurait-elle pas dû éviter de tâcher de se déresponsabiliser sur les pilotes et démontrer clairement son “intégrité” (selon les mots mêmes du PDG de la compagnie)?

  • Bien qu’évidemment il convenait que les enquêtes suivent alors leur cours, compte tenu des informations ne leur possession, pourquoi le PDG de la compagnie a-t-il attendu jusqu’au 29 avril pour s’exprimer? Qui plus est, ce discours a été préparé pour une réunion avec les actionnaires et non dans le cadre d’un plan de communication plus vaste.

Si la compagnie reconnaît l’intégrité parmi ses valeurs, il est clair que la gestion de la crise par la compagnie n’a clairement pas démontré la mise en avant de cette valeur.

En effet, dans sa stratégie, la compagnie ne reconnaît sa responsabilité qu’à hauteur de la mise à jour du logiciel, pas clairement des crash en eux-mêmes.


Bien évidemment, tout crash d’avion est le fruit d’une chaîne complexe d’évènements générateurs et aucun vol aérien n’est sûr à 100%. Mais, comme pour la Ford Pinto, il semble ici que certaines probabilités auraient pu être drastiquement réduites si Boeing avait tenu son principe d’intégrité dans la modernisation de son appareil.


Si, dans son discours à l’adresse des actionnaires, le PDG rendra hommage aux victimes des deux crash, il ne démontrera aucune réelle volonté de faire preuve de réalisme, de transparence mais surtout d’empathie en donnant aux familles des victimes des éléments clairs sur les raisons du décès de leurs proches.


Aucune entreprise n’est parfaite, beaucoup font des erreurs. Malheureusement pour Boeing, la moindre erreur réalisée par l’entreprise est assez immédiatement liée à la mort d’individus. Mais ce n’est pas une nouveauté et dans sa politique de gestion de crise comme dans sa communication, la compagnie devrait être habituée à cet aspect de son activité et, forte de sa réputation, devrait être prêtre à prendre plus de responsabilité que nécessaire ne serait-ce que pour démontrer son souci véritable pour la vie humaine et l’intégrité.

Accepter la réalité est un élément clé de la gestion de crise et il ne semble pas que Boeing ait clairement accepté cette réalité pour ce qui est de cette situation.


Pourtant, Boeing est loin d’être une compagnie que l’on peut qualifier de “non professionnelle”. Sa réputation est l’une des meilleures au monde et les modèles développés jusqu’à présent ont toujours fait l’objet d’éloges tant en termes d’innovation (le 747 est dans toutes les mémoires) que de sécurité.


Alors que s’est-il passé? Est-ce un cas ponctuel? Il faut l’espérer! Tout dépendra de la façon dont la compagnie évolue au fil de la crise.


Une des premières issues de sortie sera très clairement de reconnaître sa responsabilité avant de clairement diagnostiquer les causes de la crise. Accepter la réalité est la première étape pour reconstruire sa stratégie et apprendre de son expérience.


Mais il conviendra aussi également pour la compagnie de travailler sur le contexte, tant interne que externe, dans lequel la compagnie évolue.


3. Quand les institutions ne jouent pas leur rôle : ou quand la facilité et le manque de vision joue sur l’absence de valeurs.


Nous avons déjà mentionné le contexte économique dans lequel évolue Boeing et tous les constructeurs aériens. Nous ne reviendrons dessus que pour citer une enquête du New York Times qui a établi en avril 2019 que en interne à l’entreprise, la pression était importante pour accélérer les cadences de production plutôt que de focaliser, comme cela a toujours été le cas chez Boeing, sur la sécurité et la qualité.


Pendant longtemps c’est la capacité d’innovation qui facilitait la production sans impacter la production (la fameuse “Moonshine shop”). Mais de plus en plus, la logique financière a pris le dessus sur la logique d’ingénierie qui privilégie la sécurité.


A tel point que certaines commandes de compagnies aériennes importantes telles que Qatar Airways ont été annulées du fait de constats trop répétés de défauts de conception sur les avions livrés.


Dès lors, il semble qu’en interne déjà, les garde-fous que constituent les valeurs de l’entreprise, les standards de production, l’éthique professionnelle, ont été trop relâchés et ont mené à des défauts importants et répétitifs qui n’ont pas été pris en compte.

C’est dans ce genre de situation, qui peut arriver à n’importe quelle entreprise, que l’on attendra qu’entrent en action les garde-fous externes, tels que les autorités de régulation. Malheureusement, aux Etats-Unis, notamment du fait de réduction dans les budgets fédéraux (accélérés avec l’arrivée au pouvoir de l’administration Trump), l’autorité des transports aériens (la FAA) ne disposait plus des moyens nécessaires pour assurer un suivi efficace et sérieux de l’ensemble de la chaîne de production.


A telle enseigne qu’elle en a été réduite à passer des contrats avec les constructeurs américains tels que Boeing, pour leur déléguer la certification et les processus de contrôle. En fait de quoi, Boeing est devenu à la fois juge et partie dans les opérations de contrôle de ses propres avions.


Dans un contexte où déjà en interne les standards de sécurité et de qualité avaient été abaissés, cette situation de délégation du contrôle et de manque de moyens de la FAA ont été un accélérateur de la déviance et de la défiance de Boeing vis-à-vis de son éthique et de ses valeurs.


C’est ainsi que le système logiciel MCAS, qui devait donc compenser les déséquilibres structurels du 737 MAX et de ses nouveaux, réacteurs, a été certifié par les ingénieurs qui l’ont conçus.


Il n’est pas nécessaire d’être philosophe pour se rendre compte que :

  • A minima : rares sont les individus qui pourront disposer d’une telle objectivité qu’ils seront en mesure de juger de la qualité de leur propre travail et même avec la plus grande éthique possible il sera toujours difficile de juger de son propre travail;

  • A maxima : cette situation était le meilleur moyen pour faciliter la mise sous pression des individus créateurs et contrôleurs et les forcer à certifier un système qu’ils savaient insuffisants.

La responsabilité dans ces crash n’est clairement donc pas uniquement due à Boeing mais également à un contexte de relatif laxisme mais surtout de mauvaises priorisations.


Dans ce cadre, il importe là encore pour toute organisation de ne pas chercher la simplicité ou la facilité en profitant d’un tel contexte de laxisme pour développer son activité.


Les entreprises doivent se souvenir qu’elles sont un membre à part entière du contrat social et du cadre socio-politique dans lequel elles évoluent. Leurs actions, leurs attitudes et leurs décisions agissent comme catalyseurs des mentalités au sein de la société.


Dès lors, une volonté manifeste de passer outre les règles ou de profiter du laxisme des institutions (influencé par l’état d’esprit des gouvernants en place ou tout simplement des restrictions financières important leur organisation) donnera un signal à la population que ces comportements sont normaux et acceptables.


Il en ressortira sur le long terme une acceptation et une adhésion à la notion que les règles sont des contraintes inutiles plus que des garde-fous indispensables. Comme en matière sportive, chaque terrain a besoin de son arbitre. Non pour limiter mais bien pour s’assurer que chacun évolue conformément à son rôle et à ses capacités.


Une entreprise, comme Boeing, qui rentre dans le jeu d’un laisser-aller/laisser-faire est une entreprise qui se démet de son rôle sociétal et qui participe au développement d’un chaos social nuisible à long terme.


Parce que les entreprises sont des acteurs sociaux majeurs, elles doivent être les “canaris” dans la mine et être pro-active vis-à-vis des institutions pour demander des arbitrages et des garde-fous clairs.


Ce n’est au final pour elle qu’un moyen clair et évident de démontrer leur professionnalisme et dès lors de se détacher facilement de la concurrence.


En revanche, en cédant aux sirènes du laxisme et de la subjectivité réglementaire, elles ne font qu’offrir à leurs compétiteurs une option facile du “prêt à tout”. Et quand des vies humaines sont en jeu, il y a nécessité de savoir dire stop quand les écarts sont trop importants.


Dans une dynamique plus globale de rejet des institutions publiques et de la focalisation sur des intérêts individualisés à court-termes, Boeing est tombée dans son propre piège et à rapidement subi le revers de cette attitude en perdant l’objectivité nécessaire à la validation de ses idées et de ses produits.


Ceci très clairement encouragé ou facilité par une attitude de recherche de profits importants pour le seul bénéfice de ses actionnaires.


On rejoint là le concept d’obliquité théorisé par John Kay : lorsque dans une entreprise on se focalise sur la nécessité de la profitabilité et des bénéfices, on en revient à prendre des décisions qui auront au final un coût bien supérieur aux économies réalisées de prime abord!


Le coût pour Boeing aujourd’hui : plusieurs milliards de dollars de pertes en valeur boursière, pour les compagnies aériennes utilisant le fameux 737 Max, de 10 à 18% de pertes de chiffre d’affaires, pour le futur de Boeing une perte de confiance qui sera très certainement génératrice de refus d’achats de ses clients fidèles comme cela a déjà été le cas…

A trop vouloir “faire du chiffre” les entreprises se retrouvent à mettre de côté leurs valeurs, leur éthique, autant d’éléments qui au quotidien, dans la tension d’un contexte économique tendu, paraissent être superflus voire coûteux.


Mais sur le long terme, rester fixé sur ses valeurs, valoriser et appliquer l’éthique au quotidien, dans tous les services et rappeler à tous (y compris les actionnaires) quelle est la mission première de l’entreprise… tous ces éléments semblent être aujourd’hui les garants d’une entreprise qui dure!


Jusqu’à aujourd’hui le site Web de Boeing établit la vision de l’entreprise comme celle de “connecter, protéger, explorer et inspirer le monde au travers de l’innovation aérospatiale, la compagnie aspirant à être “la meilleure en matière aérospatiale et un champion industrial globalisé et durable”.


Voilà une mission et une aspiration plus que louables dont aurait dus se souvenir les managers de Boeing à chaque étape de la vie houleuse et tragique du dernier 737 Max. Car la recherche de profits les a mené dans une bien plus triste direction…


Ressources:

  • How the Boeing 737 Max Disaster Looks to a Software Developer”, Gregory Travis, in http://spectrum.ieee.org

  • Flawed analysis, failed oversight: How Boeing, FAA certified the suspect 737 MAX flight control system”, Dominic Gates, Seattle Times, 17/03/2019,

  • Boeing’s 737 Max: 1960s Design, 1990s Computing Power and Paper Manuals”, Jack Nicas & Julie Creswell, New York Times, 08/04/2019,

  • Boeing Was ‘Go, Go, Go’ to Beat Airbus With the 737 Max”, David Gelles, Natalie Kitroeff, Jack Nicas & Rebecca R. Ruiz, New York Times, 23/03/2019,

  • Audio reveals pilots angrily confronting Boeing about 737 Max feature before second deadly crash”, Jason Hanna, CNN.com, 15/05/2019,

  • Boeing did not disclose 737 MAX alert issue to FAA for 13 months”, Tracy Rucinsky, reuters.com, 05/05/2019,

  • Boeing Believed a 737 Max Warning Light Was Standard. It Wasn’t.”, David Gelles & Natalie Kitroeff, New York Times, 05/05/2019,

  • Boeing Statement on 737 MAX Disagree Alert”, boeing.com

  • Speech from Boeing CEO Dennis Muilenburg: 2019 Address to Shareholders”, boeing.com, 29/04/2019

  • Boeing CEO Says Nothing Went Wrong With Design Of 737 MAX Flight Controls”, Forbes Editors, forbes.com, 29/04/2019,

  • Boeing boss rejects accusations about 737 Max jets that crashed”, Rupert Neate, The Guardian, 29/04/2019,

  • Boeing CEO Faces Tough Questions On 737 Max Plane's Design”, Laurel Wamsley, NPR, 29/04/2019,

  • Immobilisation du Boeing 737 MAX : les compagnies américaines accusent le coût”, Le Monde, lemonde.fr, 27/04/2019

  • Claims of Shoddy Production Draw Scrutiny to a Second Boeing Jet”, Natalie Kitroeff & David Gelles, New York Times, 20/04/2019,

  • Lean Manufacturing Mindset Means Continuous Innovation at Boeing”, Sally Mounts, industryweek.com, 04/09/2012,

  • Boeing Rethinks How It Builds Planes With Help From Its 'Moonshine Shop' [Archive]”, Archive, http://diecastaircraftforum.com/, 05/09/2001,

  • Between Two Boeing Crashes, Days of Silence and Mistrust”, Hannah Beech and Muktita Suhartono, New York Times, 02/04/2019,

  • In Test of Boeing Jet, Pilots Had 40 Seconds to Fix Error”, Jack Nicas, James Glanz, David Gelles, New York Times, 25/03/2019,

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